Les préoccupations sécuritaires montent d’un cran entre Conakry et Monrovia après l’arrestation au Liberia d’Ibrahima (ou Abraham) Khalil Cherif, un ressortissant guinéen soupçonné de comploter contre la junte militaire en Guinée. Cherif a été interpellé par les forces de sécurité libériennes pour des activités subversives présumées, incluant le recrutement d’anciens combattants au Liberia dans le but de déstabiliser le régime de Conakry.
Bien que le Liberia ait confirmé son extradition vers la Guinée, cette action soulève des interrogations majeures sur le respect des procédures légales et des droits humains.
Une extradition controversée : accusations de « kidnapping »
L’ancien juge associé Kabineh Ja’neh, avocat de M. Cherif, a vivement dénoncé l’extradition de son client, accusant le gouvernement de l’Unity Party au Liberia de « kidnapping ». Ja’neh affirme que cette extradition s’est faite en dehors des canaux légaux habituels et que Cherif, bien que détenu au Liberia, a été transféré de manière secrète aux autorités guinéennes sans respect des procédures judiciaires. « Mon client est citoyen libérien et doit bénéficier de la protection des lois libériennes », a-t-il déclaré à la presse libérienne, exigeant que la législation locale soit appliquée à son égard.
Ces déclarations enflamment la controverse, certains observateurs affirmant que l’affaire pourrait éroder la confiance entre les systèmes judiciaires libérien et guinéen, et irait jusqu’à questionner la souveraineté judiciaire du Liberia vis-à-vis de pressions extérieures, notamment guinéennes dans ce dossier.
La question de la nationalité et des liens présumés avec l’ancien président Alpha Condé
Alors que l’avocat de Cherif affirme que son client possède la nationalité libérienne, un passeport en circulation montre qu’il est né à Lola, en Guinée, renforçant la version de Conakry. Selon les autorités guinéennes, le jeune homme âgé de 25 ans serait un sympathisant de l’ancien président Alpha Condé, actuellement en exil, qui est accusé par la junte guinéenne de recruter des mercenaires dans plusieurs pays voisins pour organiser une insurrection.
Ces soupçons de lien avec l’opposition « radicale » en exil compliquent davantage la situation. La junte affirme qu’elle surveille de près les tentatives de déstabilisation venues de l’extérieur et qu’elle a déjà intercepté d’autres recrues présumées. Toutefois, ces informations restent pour l’instant non vérifiées et ajoutent un climat de suspicion dans la région, où la coopération sécuritaire est souvent tendue.
Tensions diplomatiques entre Conakry et Monrovia
L’affaire Cherif pourrait provoquer un regain de tensions diplomatiques entre la Guinée et le Liberia. En effet, le gouvernement guinéen a exprimé sa préoccupation face à l’accueil par Monrovia de plusieurs ressortissants qu’il accuse de menacer la stabilité du régime. Ce n’est pas la première fois que Conakry reproche à ses voisins d’abriter des dissidents politiques, certains de ses opposants ayant également trouvé refuge au Sénégal et en Côte d’Ivoire.
Ces allégations viennent rappeler les sensibilités de la Guinée vis-à-vis des activités de ses ressortissants à l’étranger, et soulignent les risques de tensions dans une sous-région marquée par des instabilités politiques et des transitions militaires fragiles.
La CEDEAO, qui tente de maintenir une paix relative en encourageant des processus de transition, pourrait être amenée à intervenir si la situation entre les deux pays venait à dégénérer.
Inquiétudes sur le respect des droits humains en Guinée
L’arrestation et l’extradition d’Ibrahima Khalil Cherif ravivent les inquiétudes des organisations de défense des droits humains concernant la situation en Guinée. Amnesty International et le Département d’État américain ont régulièrement dénoncé des pratiques répressives de la junte, qui incluent des arrestations arbitraires, la restriction de la liberté de la presse, et des allégations de torture. Selon des sources locales, les personnes rapatriées en Guinée dans de telles circonstances peuvent être soumises à des conditions de détention précaires et à des traitements inhumains.
La famille du jeune Cherif, inquiète pour sa sécurité, redoute qu’il subisse des traitements similaires, et les groupes de défense des droits appellent le Liberia et la Guinée à respecter leurs engagements internationaux en matière de protection des droits fondamentaux, y compris le droit à un procès équitable.
Un climat de répression
L’opposition guinéenne, qui réclame le retour à un pouvoir civil d’ici fin décembre 2024 conformément à l’accord de transition signé avec la CEDEAO, en octobre 2022, accuse la junte d’user de la force pour étouffer toute contestation. Elle dénonce des manœuvres de la part de la junte pour instaurer un climat de peur et empêcher l’organisation de manifestations pacifiques, interdites en Guinée depuis mai 2022. Ce climat tendu risque de compromettre les efforts pour une transition inclusive et pacifique, alors même que la communauté internationale encourage la Guinée à engager un dialogue politique respectueux des droits démocratiques.
Un cas révélateur des enjeux sécuritaires régionaux
L’extradition d’Ibrahima (ou Abraham, l’autre prénom cité par la presse libérienne) Khalil Cherif met en lumière les dilemmes sécuritaires et juridiques auxquels font face les pays d’Afrique de l’Ouest, souvent pris entre des pressions intérieures pour maintenir l’ordre et des engagements internationaux pour respecter les droits humains. Si la coopération régionale est essentielle pour contrer les menaces transfrontalières, cette polémique a le mérite de souligner l’importance de respecter les processus légaux et de garantir des droits équitables pour éviter des abus.
Dans une sous-région marquée par les instabilités et les transitions militaires, le sort du jeune Cherif pourrait influencer les relations diplomatiques et les approches de sécurité dans les mois à venir entre les deux pays, alors que la Guinée cherche à contenir toute opposition venant de l’extérieur de ses frontières.
(Avec FPA)