Le Burkina Faso pourrait bientôt revenir sur l’abolition de la peine de mort, une mesure historique prise en 2018. La récente annonce du ministre de la Justice, Rodrigue Bayala, a confirmé que le gouvernement militaire explore actuellement la possibilité d’intégrer à nouveau la peine capitale dans le code pénal. Ce retour marquerait un tournant pour le pays, suscitant des interrogations profondes quant aux implications en matière de droits humains, de politique sécuritaire et d’alignement avec les tendances mondiales.
Pourquoi ce retour à la peine capitale ?
L’abolition de la peine de mort au Burkina Faso en 2018 avait été saluée par les défenseurs des droits humains comme une avancée majeure pour les droits fondamentaux dans le pays. Mais depuis le coup d’État de septembre 2022, qui a porté le capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir, le gouvernement militaire a pris des mesures pour durcir le cadre pénal. Le ministre Bayala a annoncé que cette décision s’inscrit dans la ligne politique de la junte, visant à renforcer les dispositifs de répression pour lutter contre l’insécurité croissante et les menaces que représente l’extrémisme violent dans la région du Sahel.
La dernière exécution remonte à plus de 30 ans
Si la peine de mort est restée une disposition légale au Burkina Faso jusqu’en 2018, elle n’avait pas été appliquée depuis 1988. Cet écart de trois décennies entre l’application de la peine et sa suppression officielle reflète un changement progressif dans l’approche du système judiciaire burkinabè, qui s’orientait alors vers des mesures alternatives. L’abolition, actée sous le président Roch Marc Christian Kaboré, avait été perçue comme une reconnaissance de la dignité humaine et un alignement avec les standards internationaux en matière de droits humains.
Une tendance divergente en Afrique subsaharienne
En réinstaurant la peine de mort, le Burkina Faso pourrait suivre une tendance montante sur le continent africain, où les condamnations à mort ont enregistré une forte augmentation ces dernières années. D’après le dernier rapport d’Amnesty International, les exécutions en Afrique subsaharienne ont triplé en 2023, et les condamnations à mort ont augmenté de 66 %. Cette hausse résulte notamment de la réintroduction de mesures répressives dans certains pays. Cependant, malgré cette augmentation, de nombreux États de la région continuent de se mobiliser pour l’abolition : 24 pays africains ont supprimé la peine capitale pour tous les crimes, tandis que des projets de loi visant son abolition sont en cours au Kenya et au Zimbabwe.
Implications pour les droits humains
Le retour de la peine de mort au Burkina Faso soulève d’importantes questions relatives aux droits humains. Les défenseurs des droits dénoncent cette peine pour son caractère irréversible et les risques d’erreurs judiciaires, surtout dans des systèmes où les garanties de procédure sont parfois fragiles. Amnesty International, ainsi que d’autres organisations internationales, soulignent que la peine capitale est un traitement inhumain et dégradant, qui va à l’encontre de la dignité humaine. De plus, aucune étude n’a confirmé son efficacité dissuasive face à la criminalité, contrairement à ce que les défenseurs de cette peine avancent souvent.
Pour un pays comme le Burkina Faso, qui fait face à de nombreux défis sécuritaires, notamment liés aux conflits armés et au terrorisme, le recours à la peine de mort pourrait être interprété comme une réponse de « fermeté ». Cependant, au niveau international, une telle mesure pourrait être perçue comme un recul des droits humains. Cela risque d’isoler davantage le Burkina Faso dans un contexte où la tendance mondiale reste en faveur de l’abolition.
Quelle suite pour le Burkina Faso ?
L’étape suivante consistera pour le gouvernement militaire à présenter ce projet de réintégration de la peine capitale au conseil des ministres, qui devra décider de son inscription à l’ordre du jour législatif. Une fois la proposition finalisée, elle sera soumise à l’Assemblée législative de transition pour un vote. Ce processus sera scruté de près par les organisations de défense des droits, qui pourraient intensifier leurs plaidoyers en faveur de la dignité humaine et du respect des normes internationales.
Un chemin à contre-courant
Alors que la peine de mort est en recul dans de nombreuses régions du monde, le Burkina Faso s’apprête à emprunter une voie contraire en envisageant de la réintroduire. Cette décision pourrait signifier une rupture avec les engagements précédemment pris par le pays en matière de droits humains. Au-delà de ses conséquences internes, elle interpelle sur le rôle des autorités dans la protection des libertés fondamentales. Reste à savoir si la pression de la société civile et de la communauté internationale influencera le choix final des législateurs burkinabè, dans un pays où les enjeux sécuritaires semblent peser lourdement sur les décisions politiques.