Ce jeudi 28 novembre 2024, un tournant majeur s’est dessiné dans les relations entre la France et l’Afrique. Deux annonces majeures ont en effet souligné la nécessité d’une redéfinition des liens entre la France et ses anciennes colonies en Afrique. D’une part, le gouvernement tchadien a annoncé l’annulation de l’accord de défense avec la France, illustrant ainsi sa volonté d’affirmer sa souveraineté. D’autre part, le président sénégalais, dans une interview au journal Le Monde, a indiqué qu’il n’y aurait bientôt plus de soldats français au Sénégal. Bassirou Diomaye Faye estime que la présence militaire française au Sénégal était incompatible avec la souveraineté nationale de son pays.
Ces événements qui surviennent dans un contexte de tensions croissantes sur le continent africain marquent un tournant majeur dans les relations franco-africaines et auront, sûrement pour conséquence, d’amener Paris repenser sa présence de façon globale sa présence en Afrique. Car le Sénégal et le Tchad faisaient partie des pays — de plus en plus rares — sur lesquels la France pouvaient compter sur le Continent noir comme alliés.
Un rejet grandissant de la « Françafrique »
Ces déclarations ne sont pas des cas isolés. Elles s’inscrivent dans un mouvement plus large qui a émergé au cours des dernières années, notamment depuis la montée des coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, où les putschistes ont rapidement montré leur hostilité envers l’influence française sur leurs politiques internes. Ces pays ont d’ailleurs mis en place l’Alliance des États du Sahel (AES), en septembre 2023, pour faire front contre la pression exercée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui exigeait — avec Paris — le retour à des régimes civils au Mali, au Burkina Faso et au Niger en proie aux attaques terroristes.
Si la France a perdu pied dans ces nations, ses bases militaires fermées et ses soldats de l’opération Barkhane chassés notamment vers N’Djamena, elle avait tout de même réussi à maintenir une certaine influence, notamment au Sénégal et au Tchad. Toutefois, ces dernières annonces faites en cette fin de novembre 2024 montrent que la France, malgré sa résistance aux bouleversements géopolitiques dans la région, voit son rôle historique de plus en plus contesté.
Une pression croissante des nouveaux acteurs
Le rejet de la présence militaire française n’est pas seulement alimenté par des sentiments anti-coloniaux, par un désir de rupture avec le passé encore moins par le « sentiment anti-français ». Il reflète aussi la montée en puissance de nouveaux acteurs sur le continent. La Russie et la Chine, entre autres, ont renforcé leurs partenariats stratégiques avec des pays d’Afrique, notamment dans les domaines économique, diplomatique et sécuritaire, avec la venue des mercenaires russes du groupe Wagner devenu Africa Corps. Ces relations alternatives s’inscrivent dans un cadre plus vaste, où le « Sud global » veut s’affranchir de la domination occidentale que la France, en particulier, représente dans le continent africain. Les critiques envers la « Françafrique » et l’image d’un pays encore empreint de pratiques impérialistes ont alimenté cette nouvelle dynamique géopolitique.
Si la France a longtemps joué un rôle de médiateur et de puissance protectrice, elle se retrouve aujourd’hui face à une Afrique qui veut prendre son destin en main, libre de toute ingérence, militaire ou autre. Une aspiration portée par une jeunesse déterminée à arracher sa liberté — perçue pour l’instant comme une indépendance de façade.
Une redéfinition de la relation franco-africaine s’impose
Dans ce contexte, Paris se voit contraint de revoir sa stratégie en Afrique. Alors que l’époque des accords de défense à sens unique semble révolue, la France doit désormais repenser ses liens avec le Continent. Elle doit s’inscrire dans des partenariats plus équilibrés qui prennent en compte l’aspiration de la jeunesse africaine.
L’annulation des accords par le Tchad et la remise en cause de sa présence au Sénégal ne sont que des signes avant-coureurs d’un changement profond dans les relations internationales. La France devra peut-être se réinventer sur le Continent, en abandonnant ses méthodes anciennes tristement connues sous l’appellation de la « Françafrique » pour s’adapter aux réalités d’une Afrique en mutation. Cela pourrait inclure une nouvelle approche diplomatique, fondée sur la coopération et le respect des souverainetés nationales, plutôt que sur une politique de maintien d’influence par la force militaire.
L’avenir de la France en Afrique repose désormais sur sa capacité à se réinventer et à s’adapter à un contexte mondial en pleine évolution. La politique de domination, héritée de l’époque coloniale, semble de plus en plus insoutenable face à des sociétés africaines qui revendiquent leur indépendance et leur droit à choisir librement leurs partenaires. Paris qui peut encore avoir une place majeur en Afrique est poussée à la renégociation de sa présence sur ce continent où elle a plus ou moins influencé des politiques publiques depuis près d’un siècle et demi. La France se voit contraindre à repenser ses engagements militaires et ses relations économiques, afin de répondre aux aspirations des peuples africains et à la nouvelle réalité géopolitique si elle veut limiter la pression que lui exercent les nouveaux partenaires des pays africains venus du bloc non-occidental.
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